DEFENDRE LA LIBERTE D’INFORMER, LA LIBERTE D’EXPRESSION ET L’INDEPENDANCE DES JOURNALISTES

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Le 28e congrès du SGJ-FO réaffirme sa détermination à agir en toutes circonstances pour la liberté d’informer, la liberté d’expression et l’indépendance des journalistes, plus que jamais menacées.

Aujourd’hui, la France se classe au 21e rang mondial pour la liberté de la presse et les journalistes sont de plus en plus victimes de pressions et d’intimidations indignes d’une démocratie. On ne peut prétendre défendre la liberté d’expression, sans combattre toutes ces pressions et les procédures visant les journalistes et leur liberté d’informer.

Défendre la liberté d’informer, c’est refuser de voir des journalistes filés, géolocalisés, placés en garde à vue, contraints par des juges et des procureurs de remettre leurs ordinateurs ou à révéler leurs sources, être convoqués devant les tribunaux en vue d’éventuelles mises en examen, pour avoir simplement voulu faire leur métier.

C’est ne pas accepter que le pouvoir politique laisse des juges, des procureurs et des policiers exercer une pression sur les journalistes à l’heure où la désinformation sur les réseaux sociaux rend pourtant plus que jamais nécessaire de protéger les moyens d’une information libre et responsable.

C’est refuser la dérive autoritaire, attentatoire aux libertés les plus fondamentales, dont celles de s’exprimer, de manifester, de revendiquer, d’informer et d’être informé que le pouvoir veut imposer à notre pays, comme d’ailleurs ses prédécesseurs.

Qu’elles aient eu pour prétexte la lutte antiterroriste, la situation sanitaire ou aujourd’hui la menace de guerre en Europe, nous avons connu une avalanche de mesures exorbitantes du droit commun, destinées à vider de sa substance la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881, qui constitue le cadre protecteur de la liberté d’expression et d’information dans notre pays. Nous réclamons le retour à son application pleine et entière.

Le Congrès exige en conséquence que soient abrogées toutes les dispositions résultant de cette dérive autoritaire : transfert dans le Code pénal de certains délits de presse (notamment celui « d’apologie du terrorisme ») et allongement des délais de prescription de ces délits.

Il revendique l’abrogation de toutes les lois et dispositions attentatoires à la liberté d’informer : loi sur le secret des affaires, loi sur les fausses nouvelles en période électorale, et bien sûr ce qui reste de la loi Sécurité globale et du nouveau schéma national du maintien de l’ordre qui oblige toujours les journalistes couvrant les manifestations soit de disposer de la carte de presse ou d’une attestation de l’employeur, soit de se faire identifier par les policiers. Pour le congrès, les journalistes n’ont ni à justifier ni à déclarer leur présence dans une manifestation dont ils assurent la couverture.

Le Congrès réitère son exigence d’une loi réellement protectrice du secret des sources des journalistes qui ne soit plus conditionnée par le principe « d’impératif prépondérant d’intérêt public » figurant dans la loi Dati de janvier 2010, que nous récusons.

Depuis l’adoption de cette loi, au moins 27 journalistes ont été convoqués ou placés en garde à vue par la DGSI. Plusieurs procédures civiles ou commerciales ont également été intentées à fin d’identifier les sources de journalistes.

Le Congrès estime qu’une loi réellement protectrice du secret des sources, ne saurait conditionner sa levée à une notion aussi floue qu’un « impératif prépondérant d’intérêt public », qui est la porte ouverte à l’arbitraire le plus total, notamment dans le climat de marche à la guerre que nous connaissons aujourd’hui.

Nous exigeons qu’il soit à minima encadré par les dispositions suivantes :

  • Limiter la possibilité de lever le secret des sources à des cas précis, définis par la loi ;
  • Qu’une autorité indépendante vérifie en amont la proportionnalité d’une mesure portant atteinte au secret des sources ;
  • Créer une procédure d’urgence voie qui permettrait aux journalistes dont les sources ont été illégalement découvertes de pouvoir demander la nullité des actes d’investigation concernés ;
  • créer un délit d’atteinte au secret des sources des journalistes.

Défendre la liberté d’informer, c’est aussi refuser toutes les violences, intimidations, insultes commises contre les journalistes dans l’exercice de leur profession, que cette violence soit le fait des forces de l’ordre ou de citoyens. Il dénonce les campagnes de haine et les véritables appels au meurtre véhiculés par les réseaux sociaux contre les journalistes qui ne font que leur travail d’investigation. Le rôle des pouvoirs publics n’est pas de s’en prendre aux journalistes. Il devrait au contraire être de les protéger quand ceux-ci sont victimes de violences, d’où qu’elles viennent.

La défense de la liberté d’informer impose non seulement de combattre toutes ces pressions et menaces contre notre profession, mais aussi de défendre une information digne de ce nom, non soluble dans la défense d’intérêts particuliers ou la propagande que certains employeurs ou groupes veulent y substituer.

Jamais la concentration capitalistique de la presse n’a atteint dans notre pays un tel degré. Ils sont aujourd’hui moins de 10 milliardaires à détenir plus de 80% des médias. Nous le constatons chaque jour : cette prise de contrôle des médias n’a pas vocation à apporter aux citoyens une information de qualité, mais à devenir une source de profits comme une autre (grâce notamment au marché publicitaire), à conforter leur contrôle sur certains secteurs marchands et leur poids politique sur la société.

Pour préserver leurs profits, ils entraînent toute la presse française dans la voie d’une information à bas coût, de piètre qualité et destructrice des droits et des emplois des journalistes.

Ce mouvement de concentration a été réalisé avec la bénédiction de tous les gouvernements successifs qui ont accordé à ces grands groupes privés l’essentiel des aides à la presse, fermant les yeux devant leurs pratiques fiscales – ce qui est déjà le signe d’une démocratie profondément malade – mais pire, les laissant désormais imposer le modèle d’une presse où le pluralisme des opinions, la circulation des idées et le droit des citoyens à une information libre, indépendante et de qualité n’ont plus droit de cité.

La marchandisation de l’information, la soumission des missions d’information et de nos principes professionnels aux règles du marché et de la propagande a atteint un tel degré que c’est le journalisme qui est son tour malade, et ceux qui le font de plus en plus déconsidérer.

Face à cette concentration et à ses effets désastreux, le congrès estime de la responsabilité des pouvoirs publics de prendre enfin des mesures pour y remédier :

  • en cessant de déverser chaque année dans les caisses des milliardaires de nouveaux millions d’aides à la presse, surtout quand ceux-ci sont déjà bénéficiaires de commandes publiques, a minima en conditionnant ces aides au respect du droit du travail et à la présence d’un nombre suffisant de journalistes professionnels en CDI dans les rédactions ;
  • en créant de nouveaux seuils de concentration beaucoup plus draconiens que ceux de la loi de 1986 et prenant en compte l’ensemble des médias détenus par un même propriétaire ou actionnaire ;
  • en interdisant les mutualisations éditoriales entre titres différents ;
  • en privilégiant pour l’attribution des aides à la presse, les médias indépendants qui participent d’une volonté d’offrir aux citoyens une information pluraliste et de qualité.

Face à la mainmise des milliardaires sur les médias et aux dérives éditoriales qu’elle peut engendrer, sur le plan des intérêts financiers ou idéologiques, plusieurs rédactions se sont mobilisées ces derniers temps, demandant notamment un droit de veto sur les nominations des dirigeants en charge de la rédaction.

S’il partage la légitime inquiétude des journalistes attachés à leur indépendance et aux principes éthiques qui sont les leurs, et leur volonté de préserver le caractère du titre qui les emploie, le congrès du SGJ-FO s’interroge sur les conséquences d’une telle mesure qui pourrait se transformer en élément de division entre des salariés qui ont tous, par-delà des opinions qui leur sont propres, les mêmes intérêts matériels et moraux à défendre face à leur employeur dans l’exécution de leur contrat de travail.

Le Congrès considère de la même manière qu’il n’est pas du rôle des syndicats de journalistes, voire d’autres structures se revendiquant comme les représentantes des rédactions, sans en avoir la légitimité démocratique, de se transformer en co-gestionnaires des entreprises de presse.

Face aux tenants des comités et chartes éthiques par entreprise, le congrès rappelle que la déontologie ne saurait être assujettie aux politiques éditoriales des employeurs, elles-mêmes dictées par des impératifs mercantiles ou idéologiques. Les journalistes ont tout à redouter de ces chartes maisons dont le contenu varie d’une entreprise à l’autre, avec des droits et devoirs différents en fonction des rapports de forces internes à chacune d’elles.

Le Congrès affirme au contraire son attachement aux grands textes fixant les principes professionnels des journalistes : la déclaration des droits et devoirs de 1938 et la Charte de Munich de 1971, dont il demande l’annexion sous forme d’avenant à la Convention collective.

Le Congrès réaffirme que l’action syndicale pour les revendications, pour le maintien des garanties collectives de la profession et la défense de ses principes professionnels reste la meilleure garantie pour la sauvegarde d’une presse pluraliste, de la liberté d’expression, d’une information au service de la démocratie et des citoyens.

Il réaffirme également qu’il ne peut y avoir de presse indépendante et libre, sans journalistes indépendants et libres, c’est-à-dire disposant d’un salaire conventionnel garanti, un statut et des droits collectifs leur permettant d’exercer leur métier en dehors de toute pression économique ou politique, dans le respect des principes professionnels découlant de ce statut.

28e Congrès du SGJ-FO, Paris les 26, 27 et 28 mars 2025