Depuis le début du confinement, le télétravail est devenu la norme pour des millions de salariés et notamment la majorité des journalistes. Le 28 avril, devant l’Assemblée nationale, le Premier ministre a indiqué qu’à partir du 11 mai, date supposée du « déconfinement », « le télétravail doit être maintenu partout où c’est possible », au moins pendant la première phase, c’est-à-dire jusqu’au 2 juin. Mais plusieurs entreprises de presse ont déjà fait part à leurs salariés de leur intention de le maintenir parfois jusqu’en septembre, voire davantage.
Dans la plupart des entreprises de presse, ce télétravail a été mis en place dans l’urgence et imposé aux salariés afin d’éviter la propagation de l’épidémie en cours. L’article L.1222-11 du Code du travail prévoit ce recours forcé au télétravail en cas de risque d’épidémie. Il doit alors être considéré comme un aménagement du poste de travail nécessaire à la fois à la continuité de l’activité de l’entreprise mais également et surtout à la protection des salariés. Ainsi, le télétravail doit être perçu par l’employeur comme une mesure préventive.
A l’heure du « déconfinement », il est bon de rappeler que l’employeur, du fait de cette obligation de protection de la santé du salarié pourra difficilement refuser un maintien en télétravail lorsque les fonctions peuvent être exercées selon ces modalités, sauf à manquer à ses devoirs en matière de sécurité du salarié.
Reste à savoir si, au-delà de la protection réelle apportée au salarié face au risque de contamination, le télétravail lui apporte la même protection lorsqu’il s’agit de ses droits sociaux dans l’entreprise, de son temps de travail et des conditions dans lesquelles les journalistes exercent leur profession. Pour le SGJ-FO, il n’en est rien malheureusement et de nombreux salariés confrontés au télétravail y voient surtout une cause de charge de travail en augmentation, de fatigue et de mal être, d’horaires décousus, de journées à rallonge sans réelle compensation financière, et d’isolement.
Nous ne sommes d’ailleurs pas les seuls à le dire. Dans un récent projet d’accord sur les prises de congés, la direction de l’AFP écrit elle-même que son projet vise à « permettre aux salariés de décompresser, le télétravail pouvant être générateur de stress et de fatigue ».
Le SGJ-FO refuse pour sa part que le télétravail serve de laboratoire à encore plus de déréglementation et de flexibilité dans les entreprises de presse et que l’isolement du salarié à son domicile soit mis à profit, pour le contraindre à une productivité accrue – notamment en compensant les absences ou les sous-effectifs – à davantage de polyvalence, à la détérioration de ses conditions de travail.
Nous ne sommes pas dupes car nous savons que de telles mesures, imposées aujourd’hui au nom de circonstances exceptionnelles, pourraient devenir la norme demain dans de nombreuses rédactions au nom d’autres « impératifs » comme le retour à l’équilibre financier, la « santé » de l’entreprise ou tout autre prétexte dont les patrons sont coutumiers dès lors qu’il s’agit de baisser le coût du travail.
Le SGJ-FO exige donc que dans toutes les entreprises concernées, la poursuite du télétravail dans les semaines (mois ?) à venir fasse l’objet d’une réunion spécifique du Comité social et économique (CSE) pour en préciser les modalités, dans le respect des droits des salariés, en particulier là où n’existe pas d’accord collectif ou de charte sur la question.
Pour sa part, le SGJ-FO entend défendre les revendications suivantes :
Durée du Travail
Celle-ci doit être conforme à la durée légale, soit 35 heures par semaine, et respecter les temps de repos journalier et hebdomadaire. Le SGJ-FO s’oppose notamment à l’application aux salariés en télétravail (comme aux autres d’ailleurs) de l’ordonnance du 25 mars permettant aux employeurs de déroger à la durée légale du travail en portant notamment la durée quotidienne à 12 heures, la durée hebdomadaire à 60 heures et en diminuant le repos quotidien à 9 heures au lieu de 11, en favorisant le travail dominical. Le SGJ-FO exige des employeurs, comme le prévoit la législation sur le télétravail, à mettre en oeuvre un mode de contrôle du temps de travail ou de régulation de la charge de travail et à en informer les instances élues du personnel. L’employeur doit notamment préciser pour chaque salarié les horaires de début et de fin d’activité et les temps de pause. Nous exigeons que le salarié en télétravail ne soit pas contraint de compenser les sous-effectifs en assumant, en plus des siennes, les tâches des journalistes absents ou de ceux dont les postes ne sont pas pourvus ou ont été supprimés. De même, la mise en place d’horaires décalés dans l’entreprise, à compter du 11 mai, ne doit pas être un prétexte pour allonger la journée du télétravailleur. L’employeur doit déterminer de façon précise les plages horaires durant lesquelles la hiérarchie peut habituellement contacter le salarié en télétravail. Le droit à la vie privée et le droit à la déconnexion font partie des droits essentiels des salariés et doivent être respectés en toutes circonstances. Le télétravail ne doit pas servir de prétexte à une politique du fait accompli dans l’élaboration des plannings, la prise de jours de repos ou de vacances qui doivent respecter
les souhaits des salariés. Tout dépassement de la durée du travail doit donner lieu à des récupérations conformément aux dispositions conventionnelles. Conditions du télétravail L’employeur doit, s’il a recours au télétravail pour ses salariés, les mettre en situation d’exercer leurs fonctions dans les mêmes conditions ou des conditions similaires à celles habituelles, dit la législation. Cela vaut notamment pour l’équipement dont ils disposent : ordinateur, téléphonie, imprimante, fax etc. De même l’employeur doit préciser de quelle assistance technique le salarié peut bénéficier en cas de problème. Le salarié doit également avoir accès aux sources de documentation internes ou externes à l’entreprise. L’employeur doit également veiller à ce que les données personnelles du salarié soient protégées en toutes circonstances. Le SGJ-FO dénonce la volonté de certains employeurs de profiter de la période de confinement et du télétravail pour introduire de nouveaux outils accompagnés de formations à distance, comme à Plurimédia. Ces formations combinées aux flux de travail augmentés ont de graves conséquences sur la santé des salariés. Pour le SGJ-FO le télétravail n’est pas compatible avec la garde d’enfants. Nous revendiquons pour les parents qui ne peuvent conserver, depuis le 1er mai, le bénéfice du système des arrêts-maladie leur basculement dans le chômage partiel et que celui-ci soit indemnisé à 100%. Cela vaut tout particulièrement pour les parents isolés (familles monoparentales). C’est parfaitement possible comme le montre l’accord en ce sens qui vient d’être signé à l’AFP. Nous revendiquons également que les salariés en télétravail puissent faire l’objet d’un suivi par la médecine du travail pour éviter les risques psycho-sociaux qui pourraient résulter de leur condition d’isolement.
Rémunération du télétravail
Selon la loi, les salariés en télétravail bénéficient des mêmes droits individuels et collectifs que tous les salariés de l’entreprise. Cela signifie qu’ils continuent à toucher intégralement tous les éléments de salaire (primes incluses) liés à leur activité et leur fonction. Cela signifie aussi qu’ils doivent continuer à avoir accès aux avantages sociaux comme les chèques vacances ou les titres restaurants. Le SGJ-FO veillera à ce que ce soit le cas dans toutes les entreprises. Par ailleurs, le SGJ-FO demande que les frais engagés personnellement par le salarié en télétravail soient pris en compte et payés par l’entreprise, qu’il s’agisse des frais de téléphonie (forfaits, dépassement…), des frais d’électricité ou de chauffage, des frais liés à l’utilisation éventuelle d’un véhicule personnel en cas de reportage, etc. C’est d’autant plus légitime que Le télétravail a permis à certaines entreprises de faire de substantielles
économies sur certains postes (l’eau par exemple à France TV d’après une étude interne). Le SGJ-FO demande en la matière l’application de l’article 53 de la Convention collective des journalistes qui stipule que « lorsqu’un journaliste professionnel met un local lui
appartenant ou dont il est locataire à la disposition de l’entreprise (en France ou à
l’étranger), il doit recevoir un dédommagement ».
Non aux pressions, non à l’individualisation !
Pour les employeurs, la tentation peut être grande de profiter de l’isolement du salarié en
télétravail, du fait qu’il ne fait plus physiquement partie d’un collectif de travail, d’un groupe
de salariés ayant des intérêts communs, pour remettre en question ses droits. Seul face à
son employeur, sans la présence de représentants du personnel et des organisations
syndicales, il pourra moins se défendre, escomptent-ils.
D’autres, comme ces dirigeants d’un journal quotidien, n’hésitent pas à publier, à l’usage
des salariés en télétravail, un guide des « bonnes pratiques » où c’est le salarié qui apparaît
comme le seul à avoir des « devoirs », l’entreprise n’en ayant apparemment aucun.
C’est la raison pour laquelle notre syndicat a toujours considéré que le télétravail qui
contribue à faire disparaître la frontière entre vie privée et vie professionnelle et, de façon
induite, à préparer la fin du contrat de travail au profit d’un contrat de gré à gré entre un
employeur et son subordonné, ne peut se concevoir qu’à titre exceptionnel et de façon
limité dans le temps.
C’est la raison pour laquelle, nous pensons qu’il doit être strictement encadré pour faire
respecter non seulement les droits individuels des salariés concernés mais aussi nos droits
collectifs de journalistes.
Nous refusons également que le télétravail soit l’occasion pour les entreprises d’externaliser
certaines tâches rédactionnelles, préparant ainsi le terrain à de futures suppressions
d’emploi, en recourant par exemple à des fournisseurs de données ou à l’utilisation de
reportages clés en main réalisés par des entreprises extérieures.
Paris, le 8 mai 2020