La dernière version du projet d’entreprise présentée par la direction au terme de près d’un an de « négociations » avec les représentants du personnel reste marquée par sa volonté d’imposer des reculs sociaux majeurs aux salariés.
Pour atteindre un unique objectif – la réduction du coût du travail et de la masse salariale – il veut imposer à tous une augmentation importante du temps de travail sans contrepartie sérieuse, qui va encore aggraver la charge de travail et la pression qui pèse sur une grande partie des salariés et particulièrement sur la rédaction.
Afin que chacun puisse en juger, nous avons passé en revue, pour ce qui concerne les journalistes, les principales dispositions de ce texte :
Durée du travail : toujours plus et plus longtemps
Par-delà la référence à la durée légale (35 heures par semaine), le texte introduit une série de mesures qui visent à rendre ce cadre de plus en plus théorique, à commencer par une référence à un temps de travail annuel et non plus hebdomadaire. Le texte prévoit notamment que la durée quotidienne du travail peut atteindre 12 heures par jour pour des « motifs liés à l’organisation du service ».
Jours ARTT revus à la baisse
Auparavant, tous les journalistes disposaient de 18 jours de repos au titre de la réduction du temps de travail. La direction veut faire tomber ce nombre à 7 jours pour les journalistes en production, travaillant au minimum 39 heures par semaine (ainsi que pour l’encadrement des services dont celui des desks et la redchef). Les journalistes expatriés se verraient accorder 7 jours par an à prendre de façon groupée à leur retour, dans la limite de 35 jours. Pour les journalistes hors production (desks notamment) le nombre de jours ARTT tomberait à 4 jours.
Astreintes et veille éditoriale : du vrai travail sans réelle compensation
A la demande des syndicats, principalement FO, la direction a été amenée à traiter et à donner un cadre légal aux astreintes et autres « permanences » de nuit et de week-end qui s’effectuent depuis des années à l’agence dans le flou juridique le plus total et qui constituent de fait une prolongation de la journée de travail.
L’accord reconnaît la notion d’astreinte, en principe fondée sur le volontariat (qui dans les faits sera difficile de refuser). Durant 90 à 120 nuits, de la fin de son service à 8H00 du matin, ainsi qu’un nombre de week-ends non précisé, le journaliste pourra être d’astreinte, c’est-à-dire joignable à tout moment pour « répondre aux exigences de l’actualité ».
Pour ce faire, il recevra une compensation de 20 euros brut par nuit !
Une somme d’autant plus ridicule que la période d’astreinte pourra se doubler d’une « veille éditoriale », dont la durée n’est pas définie et durant laquelle le journaliste devra « assurer un suivi actif de l’actualité (mails, réseaux sociaux, appels téléphoniques) ».
Si légalement, l’astreinte est considérée comme du temps de repos (seul le temps d’intervention est du « travail effectif »), la veille éditoriale est clairement du travail effectif et du temps de travail supplémentaire, puisqu’il est effectué au-delà de l’horaire de travail journalier (après la fin du service).
Or, la rémunération prévue (10 euros brut s’ajoutant aux 20 de l’astreinte) ne correspond en rien aux dispositions d’ordre général destinées à rémunérer les heures supplémentaires. Pas plus d’ailleurs que la « prime de sujétion » mensuelle de 125 euros prévue pour les chefs de service et leurs adjoints amenés à « réaliser fréquemment des veilles éditoriales ».
Le texte ne prévoit pas non plus la majoration de 15% de ces heures qui s’appliquait précédemment lors des « permanences de nuit » si ces heures sont effectuées après 21 heures et au-delà de 23 heures.
En cas d’intervention durant l’astreinte, pas de paiement supplémentaire non plus mais la récupération du temps passé. Et le texte prévoit même de déroger à la règle des 11 heures de repos entre deux journées de travail si l’intervention se termine avant 3H00 du matin !
Forfait jours : la légalisation des journées sans fin
En introduisant dans l’accord la possibilité pour les journalistes d’opter pour des forfaits jours, sur la base du volontariat, la direction va jusqu’au bout de sa logique visant à faire travailler toujours plus.
En effet, selon une note du ministère du Travail de décembre 2016, « les règles relatives à la durée légale et aux durées quotidienne et hebdomadaire maximales ne s’appliquent pas aux salariés au forfait jours. Les dispositions relatives aux heures supplémentaires (contingent d’heures, contrepartie obligatoire en repos, majorations) ne s’appliquent pas non plus dans la mesure où celles-ci supposent l’application de la durée légale du travail ».
Les journalistes au forfait jours devraient ainsi travailler 197 à 200 jours par an, sans aucune limitation du nombre d’heures de travail et sans aucune compensation, à part la carotte brandie par la direction de porter de 7 à 12 le nombre de jours ARTT accordés aux volontaires (c’est encore 6 de moins qu’aujourd’hui).
Pour faire passer cette mesure, la direction met en avant « l’autonomie dans l’exercice de leur métier » dont bénéficieraient les journalistes. En effet, la législation limite strictement cette forme de contrat aux « cadres qui disposent d’une autonomie dans leur emploi du temps et dont la nature des fonctions ne les conduit pas à suivre l’horaire collectif applicable au sein de l’atelier, du service ou de l’équipe auquel ils sont intégrés ».
S’agissant de l’AFP, où est l’autonomie d’un journaliste, même en production? Ne doit-il pas se plier à un horaire, même théorique ? N’effectue-t-il pas des vacations ? Ne doit-il pas assurer des couvertures à la demande de sa hiérarchie ? Ne doit-il pas se conformer à des agendas ? N’est-il pas engagé par les plans de couverture décidés quotidiennement ou de façon hebdomadaire par la hiérarchie ? Ne doit-il pas assurer des astreintes, des permanences et désormais des « veilles éditoriales » ? Ne doit-il pas répondre à des demandes de reportage ?
Et que dire de la proposition de la direction d’étendre le forfait jours aux journalistes hors production (dont « l’autonomie » au sens de la loi n’existe pas du tout) en arguant qu’ils pourraient se voir confier en plus « des missions élargies exercées en toute autonomie ».
En gros, vous faites votre vacation au desk et ensuite vous pouvez aller faire un reportage «en toute autonomie» jusqu’à pas d’heure. Et tout ça pour le même prix. De qui se moque-t-on ?
Cette proposition de forfait jours risque donc d’être source de nombreux litiges juridiques en plus d’aggraver les conditions de travail des éventuels volontaires. La direction le reconnaît elle-même implicitement. Par-delà les garanties de façade sur le fait que « l’amplitude et la charge de travail du salarié doivent rester raisonnables » et la conciliation entre vie professionnelle et vie personnelle, elle admet que cela risque de déboucher sur davantage de pression et de risques pour la santé des salariés concernés en demandant au médecin du travail de leur porter « une attention particulière ».
Pour tenter de faire passer la pilule de l’augmentation générale du temps de travail, la direction a décidé d’octroyer entre 2 et 5 jours de congés supplémentaires, dit d’ancienneté, pour les salariés depuis plus de 5 ans dans l’entreprise. Pour les journalistes, elle ne diminue pas non plus le nombre des congés existant (44 jours). Mais ce n’est pas le cas pour toutes les catégories et globalement cela ne compense pas la perte de jours ARTT.
Rémunérations : toujours rien sinon des miettes
Si les journalistes sont amenés à travailler plus, ils ne gagneront pas plus pour autant. Non seulement le projet de la direction ne prévoit pas de réelle compensation pour le temps travaillé en plus mais elle n’envisage pas non plus d’introduire une vraie politique d’évolution salariale, malgré le blocage des salaires et la perte de pouvoir d’achat que subissent les salariés depuis plusieurs années.
Les grilles de salaires et le plan de carrière des journalistes sont maintenus (ce qui n’est pas le cas pour toutes les autres catégories), mais aucun mécanisme d’augmentation garantie ou automatique n’est prévu.
Les éventuelles revalorisations salariales continueront à dépendre des négociations annuelles obligatoires (NAO), sans aucune garantie. Or, avec la loi Travail, ces négociations n’ont plus rien d’annuelles puisqu’elles peuvent avoir lieu tous les trois ans ! En outre, les NAO devront « intégrer les contraintes budgétaires de l’AFP ». Vu l’état des finances, c’est le serrage de ceinture assuré pour des années !
Pour voir son salaire éventuellement revalorisé, il faudra continuer, comme aujourd’hui, à compter sur des primes et promotions inégalitaires et faméliques, dont l’enveloppe sera décidée lors des NAO, et sur un hypothétique accord d’intéressement lié « aux performances de l’agence ».
Dans sa quête d’économies à toute force sur le dos du personnel, la direction ne recule devant rien n’hésitant pas à remettre en cause le Code du Travail en matière d’indemnité de licenciement des journalistes. Son projet d’accord prévoit en effet d’accorder une indemnité égale à un mois de salaire jusqu’à 15 ans d’ancienneté dans l’entreprise et un demi-mois au-delà. Or, le Code du Travail stipule que c’est à la Commission arbitrale des journalistes, placée sous l’autorité d’un juge, qu’il appartient de déterminer l’indemnité due pour la partie au-delà de 15 ans. En voulant s’affranchir de cette règle, la direction espère-t-elle devoir payer moins ?
Nominations, mobilité, précarité : aucun progrès
Dans tous ces domaines le projet de la direction ne fait qu’entériner les pratiques existantes, dont le moins qu’on puisse dire c’est qu’elles sont loin d’assurer l’égalité et la transparence, avec parfois de nouvelles dispositions en recul par rapport à l’existant.
Ainsi la période d’essai pour les journalistes serait portée à 4 mois alors que la loi de 2008 sur la modernisation du marché du Travail fixe cette période à 3 mois pour les personnes n’assurant pas des tâches d’encadrement.
En ce qui concerne la mobilité internationale, si la direction a renoncé à un projet initial visant à créer des postes d’expatriés à deux vitesses, avec des conditions différentes, elle n’en maintient pas moins la création d’une nouvelle catégorie à côté des expatriés de statut siège : le salarié titulaire d’un contrat de travail français détaché à l’étranger ne bénéficiant pas du statut siège mais d’avantages liés à sa mobilité.
Faut-il voir là une volonté de diminuer à terme le nombre d’expatriés de statut siège, même si dans l’immédiat la direction s’engage à ce que 28% des postes en CDI de statut siège seront ouverts à l’expatriation (mais 21% seulement occupés par des statuts siège) pendant 5 ans.
Pour le reste, ce « grand accord » censé moderniser les relations sociales dans l’entreprise maintient les choses en place pour les journalistes locaux et de statut régional dont le sort est renvoyé à une « charte des bonnes pratiques sociales » leur octroyant des « droits minimaux ».
La lutte contre la précarité est d’ailleurs totalement absente de ce projet qui ne dit rien non plus sur le sort et les conditions de travail des pigistes, sinon qu’ils resteront soumis à des « dispositions spécifiques » non précisées.
Sur tous ces sujets (on pourrait y ajouter la politique en matière de nominations), on reste loin des principes d’égalité et de transparence mis en avant par la direction pour justifier la dénonciation de nos anciens accords.
En revanche, la tentation autoritariste n’est jamais bien loin, comme en attestent les nouvelles dispositions visant à limiter le droit de grève à l’AFP, avec notamment la mise en place d’un service minimum, plus que contestable juridiquement, ou à encadrer le droit des élus à exercer leur mandat.
Pour toutes ces raisons, le Syndicat Général des Journalistes Force Ouvrière considère que le texte de la direction ne répond pas aux intérêts de la rédaction et qu’il ne peut y apposer sa signature.
Quels que soient les ajustements cosmétiques et les formes de chantage à la signature qui ne vont pas manquer d’apparaître dans les prochaines heures, l’application de ce texte marquerait un recul majeur de nos conditions de travail sans régler aucun des problèmes de fond de l’agence dont le personnel n’est pas responsable.
Le SGJ-FO estime que seule la mobilisation et l’action unie du personnel avec ses syndicats pourra mettre en échec la direction et prendra toutes ses responsabilités en ce sens.
Paris, le 30 janvier 2017