Le « secret des affaires » va-t-il désormais primer officiellement sur le droit à l’information ?
On peut très sérieusement le redouter après la décision du Tribunal de commerce de Paris de condamner le magazine Challenges à retirer de son site, sous peine d’une astreinte de 10 000 euros par jour, un article consacré aux difficultés financières du groupe Conforama.
Saisi en référé par l’entreprise, propriété de la firme sud-africaine Steinhoff, le Tribunal a considéré que l’information révélée par Challenges portait atteinte à la confidentialité de négociations économiques en cours et qu’elle n’était pas « d’intérêt général ». La « preuve » selon les juges : elle n’avait pas été relayée par d’autres média d’information !
Cette condamnation, contre laquelle Challenges a fait appel, est la première manifestation en France de la menace majeure que constitue l’application de la directive européenne sur le secret des affaires adoptée le 14 avril 2016 par le Parlement européen avec le soutien de l’ensemble des 28 pays membres de l’UE et contre l’avis des nombreux citoyens et organisations attachés à cette conquête démocratique essentielle qu’est la liberté d’informer.
Cette directive reprend en effet en tous points les exigences exprimées par un petit groupe de multinationales qui, pour protéger les intérêts de leurs actionnaires, ont réussi à imposer un véritable droit au secret unilatéral en faveur des entreprises.
Bien qu’elle n’ait toujours pas de base légale en France, puisqu’elle n’a pas encore été transposée dans notre droit national (elle doit l’être d’ici juillet 2018) les pouvoirs politiques et judiciaires ont déjà entériné sa mise en œuvre depuis plusieurs années.
La Cour de cassation a ainsi pris en 2014 et 2015 des décisions affirmant la primauté des intérêts des entreprises sur le droit d’informer au nom du « caractère confidentiel » de certaines informations pouvant nuire, selon elle, a la « liberté d’entreprendre ».
N’oublions pas non plus que c’est Emmanuel Macron, alors qu’il était ministre de François Hollande, qui avait tenté d’imposer une première loi sur le secret des affaires prévoyant des peines pouvant aller jusqu’à 3 ans de prison et 375 000 euros d’amende pour les contrevenants !
La mobilisation syndicale avait alors arraché, en janvier 2015, le retrait de ce texte.
De la même manière, la nouvelle directive européenne ne doit pas s’appliquer dans notre pays !
Paris, le 7 février 2018