Nous assistons ces derniers mois à une inquiétante multiplication des atteintes et des entraves à la liberté d’informer. Du jamais vu dans notre pays dont l’histoire est pourtant intimement liée à la défense des droits de l’Homme et des libertés fondamentales dont la liberté de la presse est un élément essentiel.
Depuis la mi-mai, ce ne sont pas moins de huit journalistes qui ont été convoqués par la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) sous le prétexte fallacieux d’avoir violé le secret défense.
Que leur reproche-t-on ? D’avoir publié, pour les uns, des informations sur l’utilisation dans la guerre qui se mène au Yemen d’armes vendues par la France à l’Arabie Saoudite et aux Emirats arabes unis. D’avoir fait pour les autres fait de nouvelles révélations sur un des protagonistes de l’affaire Benalla. En clair, d’avoir fait leur travail d’information des citoyens, conformément à leur mission et leurs principes professionnels.
Il s’agit non seulement d’une atteinte intolérable à la loi sur la protection du secret des sources, dont le principe a été consacré par la Cour européenne des droits de l’Homme, mais d’une claire volonté d’intimidation des journalistes.
Ensemble, exigeons que soit mis un terme aux procédures en cours et qu’aucune poursuite ne soit engagée contre ces journalistes.
Ces faits interviennent après les violences policières, sans précédent elles aussi, qu’ont dû subir des dizaines de confrères et consœurs appelés à couvrir les événements sociaux et manifestations des derniers mois. Certains ont été blessés, parfois gravement, d’autres molestés, bousculés, injuriés. D’autres ont été empêchés de travailler, interpellés, placés en garde à vue même. Sans parler de la confiscation de leur matériel, de leur casque de protection, de leur brassard ou de leur carte de presse…
De tels agissements ne sont pas admissibles dans un état de droit. Ils ne peuvent en outre que conforter ceux qui, parmi les manifestants, se sont aussi parfois livré à des violences sur des confrères et des consœurs, violences que nous condamnons avec la même force.
Ensemble, exigeons le retrait de la loi dite anti-casseurs, la fin des violences policières et que leurs responsables soient sanctionnés. Exigeons que soit assurée non seulement la liberté d’informer sur les mouvements sociaux, mais aussi celle de manifester et d’exprimer pacifiquement ses opinions en toute sécurité.
Si le pouvoir politique porte une lourde responsabilité dans la multiplication de ces errements, d’autres ne sont pas en reste, du côté notamment des grandes entreprises : journalistes fichés par Monsanto, parfois espionnés comme notre confrère François Ruffin et son journal Fakir (qui plus est par un patron, Bernard Arnault, qui dirige un groupe de presse), journalistes soumis à la pression sans cesse grandissante des intérêts financiers et commerciaux dans le contenu de l’information….
Il est vrai que non seulement l’Etat ne montre guère l’exemple mais qu’il a, là encore, ouvert la voie en transposant, par une loi liberticide, la directive européenne sur le « secret des affaires » qui est un véritable blanc-seing donné aux entreprises et notamment aux multinationales pour faire taire ou poursuivre tous ceux qui divulgueraient ou même détiendraient des informations censées relever de ce secret.
Jamais sans doute la loi de 1881 sur la liberté de la presse n’a donc été aussi menacée par l’arsenal juridique répressif et régressif mis en place par le pouvoir (on pourrait citer aussi la récente loi sur la prétendue prévention des fausses nouvelles ou les nombreuses dispositions introduites dans la loi au nom de la lutte antiterroriste).
Ensemble exigeons le retour à la lettre et à l’esprit de la loi de 1881.
A juste titre, ces atteintes intolérables aux libertés fondamentales et à la libre information des citoyens sont dénoncées régulièrement par tous les syndicats de journalistes, leurs organisations internationales, des associations professionnelles ou de défense des droits de l’homme, par des rédactions… Prises de position, communiqués, lettres ouvertes, pétitions se sont multipliées ces derniers mois. Les quatre syndicats représentatifs de la profession viennent de demander dans une lettre commune un rendez-vous au président de la République sur ces questions. Nous nous en félicitons.
Nous considérons toutefois que la gravité de la situation et son caractère inédit exige aujourd’hui une initiative publique à la hauteur de l’enjeu, une réponse massive, unitaire de toute la profession, de l’ensemble de ses organisations, soutenues par le mouvement ouvrier et démocratique et tous les citoyens attachés à la démocratie.
C’est la proposition que nous soumettons aujourd’hui à l’ensemble des syndicats de journalistes.
Paris, le 6 juin 2019